Les « experts », Saison 2

Edito du J3P du 18 novembre au 16 décembre 2018

Donc oui, ne boudons pas notre plaisir de vivre les forces et les richesses que le Seigneur nous donne à partager, et dont le 7 octobre nous a permis de reprendre conscience. En même temps, le Seigneur Jésus, à chaque page d’Évangile, nous annonce sa mort – les conflits avec certains pharisiens deviennent de plus en plus lourds. Pourquoi la richesse religieuse des pharisiens ferme-t-elle la porte à certains pauvres spirituels (comme Matthieu le publicain) qui pourtant se trouvent à l’aise avec Jésus ? Pourquoi la richesse tout court pose problème ? Novembre s’est ouvert avec la Toussaint, la Béatitude des « pauvres en esprit », suivi de l’évangile de la pauvre veuve, qui avec ses deux pièces, plutôt que de mégoter, jette tout son « vital » en Dieu. Folie, grande sagesse ? Pauvre, pauvre en esprit ?

Mardi dernier, à Sainte-Rita, nos catéchumènes ont profité d’un enseignement magistral du père François sur cette « pauvreté évangélique », qui est une « vertu », une richesse spirituelle à mettre en oeuvre : aimer la simplicité de vie, le partage des biens et la promotion de la justice, refuser de se crisper sur ce qu’on croit être légitimement sien, accueillir l’enseignement sur la destination universelle des biens, modérer son appétit d’acquérir ou de posséder, garder son coeur libre pour Dieu et pour les autres, libre de l’avarice, de la cupidité, del’égoïsme et de l’envie, préférer les personnes aux biens… C’est un défi, une vocation, pour tous, riches ou pauvres.

La pauvreté tout court, c’est un peu différent. C’est une situation. Qui est pauvre ? Toi, moi, chaque fois que nous sommes confrontés à des manques qui nous dépassent tellement qu’il n’y a pas de « solution » : deuil d’un être cher, maladie ou trouble psychique incurable jusqu’ici, manque chronique d’argent, misère sociale ou écologique durable dépassant l’imagination politique ou les dispositifs sociaux actuels. Pauvre, ton espérance est tellement secouée, ta foi mise au défi, ton envie d’aimer laminée par le manque d’être aimé, que tu deviens aussi à ta façon « expert » de connaître Dieu autrement : tu habites dans des terres désolées là où, comme Jésus, tu peux compter sur Dieu seul, par miracle, par inspiration novatrice, ou par Résurrection.

Le Pharisien « hypocrite » s’imagine être en position de donner des conseils aux autres, mais, Jésus lui dit : le jour où ton boeuf tombe dans un puits – quand le nécessaire, le vital est en jeu -, tu feras tout, même le jour du sabbat, pour le sortir de là, comme les copains. Le pharisien « récupérable », à force de fréquenter Jésus, il pratique la pauvreté évangélique, il sait se réjouir des richesses qu’il a reçues, développées et qu’il sait partager, il aime s’organiser, travailler à la paix et à la justice de toutes ses forces, mais il est conscient qu’il peut rencontrer dans sa vie des circonstances où ses principes et ses forces voleront en éclat. Si ses activités le mettent au contact de plus galériens que lui, il aura ce petit flair évangélique qui lui interdira de se croire plus malin ou de se poser en donneur de conseils. Il saura se dire : tais-toi, tu as devant toi un expert en « tenir bon », expert en « salut », en « compter avec et sur Dieu », respect !

Ce galérien, l’Église pour être elle-même a encore plus besoin de lui, que lui de l’Église. Cette intuition portée par diaconia 2013, par des groupes et des recherches inspirées de l’expérience d’ATD ou du Secours Catholique, interpelle les Églises : luttons contre les pauvretés réellement, avec les plus galériens d’entre nous, mais si leur expérience n’a pas pleinement droit de cité au coeur de notre recherche de Dieu, il y a quelque chose qui manque.

Père Dominique Doyhénart, curé