Edito – Grain de Blé, toujours !

« Mes brebis écoutent ma voix… personne ne les arrachera de ma main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et personne ne peut les arracher de la main du Père. »

Ces paroles extraordinaires de l’Evangile du « Bon Pasteur » nous plongent au coeur de la formidable liberté intérieure de Jésus.

Tout est donné par le Père ! Jésus ne tient pas une comptabilité anxieuse, ni des statistiques d’adhésion : il propose des paroles vraies à écouter, des appels à entendre, et des liens fraternels à vivre. Il ne doute pas que tous ceux pour qui c’est le moment se mettent en route. Pour l’un c’est l’enfouissement d’une parole qui produira son fruit plus tard, pour l’autre c’est déjà le temps de la moisson, le troisième c’est autrement, qu’importe : le Père donne tout et ne lâche rien ! Cette dépossession du contrôle de ce qui se passe, la confiance et la décontraction du berger, tout cela est nécessaire à la croissance de ce qui peut naître.

Bien sûr, il ne suffit pas tout-à-fait d’attendre que ça pousse : malheur à celui qui scandalise un seul de ces petits qui sont les miens, dit Jésus… Il faut inlassablement, s’employer pour qu’existent les lieux et moments de bonheur et de vérité, où chacun peut se tenir en vérité, être accueilli et aimé tel qu’il est, où chacun puisse dire une parole en « je » et entendre une parole en « tu »… des lieux et des moments où nous sommes déchargés du souci d’être ceci ou de paraître cela. Faute de quoi, les petits partent sur la pointe des pieds et le « nous » ecclésial ne se constitue pas, il est encore repoussé à plus tard.

Ces lieux existent, partout, et il importe de les faire exister, pour notre bonheur.

Veillons pour que dans les événements et les rencontres, chacun sente qu’il peut livrer simplement ce qu’il veut livrer de lui même, sans avoir à correspondre à une attente supposée (on est à l’église, quand même !). Faisons en sorte que chacun sente qu’il est là exactement au même titre que les autres, un être humain en quête de bonne vie, en quête de compagnons de route et de présence de Dieu. La mauvaise anxiété, celle qui nous monte à la tête quand nous croyons devoir occuper la place du Sauveur, elle nous livre entre les mains de l’ennemi (le diable) en nous embrouillant dans des attentes trop précises et la manie d’évaluer tout et son contraire.

Alors qu’il n’est question – et c’est un vrai défi – que d’accueillir avec émerveillement la parole de frères et soeurs qui nous font cadeau d’un bout d’eux-mêmes en confiance.

Oui ces lieux existent parmi nous, ces moments de grâce incroyable, souvent au catéchuménat mais pas seulement : partout, quand on sait regarder ! Les signes sont connus : les frères muets parlent… Samedi, à Antony, M. et T., deux paroissiennes que je connaissais bien (que je croyais bien connaître), sont invitées à la rencontre élargie de l’ACO. Parce que le climat de la rencontre le permettait, elles ont livré quelque chose de leurs galères financières et familiales, avec une joie et une reconnaissance de pouvoir se dire à d’autres, d’autres qui comprennent et partagent parfaitement cela… Les sourds entendent ! À un moment donné, quelque chose d’important que tu voulais faire entendre trouve le chemin…, la bonne nouvelle est annoncée aux pauvres, quelque chose de léger, grâcieux, explosif et vital vient s’insérer même au milieu des galères, quand elles sont relues, recueillies…

Car Dieu travaille, sans cesse. Il est à la source, comme Père attentif, Il se dit, explicitement, dans une parole du Fils. Il se dit, implicitement, dans l’Esprit, par les paroles et les actes des vrais vivants, croyants ou non, chrétiens ou non. Qui recueillera cette Vie divine répandue en nos coeurs et en nos actes humains ? Nous avons le besoin vital d’accueillir l’explosivité de la vie divine ressuscitée et partagée. Nous avons le besoin vital de prêter attention à ce vivant, à cette vie qui pousse, germe, s’infiltre… Nous avons le besoin vital de dégager les accès, de dégager ce qui obstrue cette fermentation amoureuse de Dieu en toute chose.

Nous n’avons pas de temps à perdre ni d’énergie à gaspiller vers ce qui ne nourrit pas ou ne fait pas vivre. Réparer l’Église, c’est peut-être une entreprise de démolition de ce qui bouche les sources, et empêche le grain de pousser, non ?

Père Dominique Doyhénart, curé